Lectures bibliques et hébraïques

  1. les boiteries rituelles de printemps
  2. le roi David ou l'anti-Oedipe
  3. Une lecture hébraïque de Jean 8, 1-11 : La femme adultère
  4. Image et ressemblance à Dieu dans la création et les naissances humaines

Les boiteries rituelles de printemps : étude anthropologique, astronomique et biblique sur la fête de Pâque

Il existe dans beaucoup de peuples une relation insistante entre le thème de la boiterie et les fêtes de printemps. Les cultes païens antiques célébraient ainsi cette période par des rites de boiteries. Ces thèmes sont passés dans la littérature et jusque dans le langage courant si l'on en croit ce proverbe italien qui dit :"Si tu ne connais pas le nom d'une boiteuse, tu n'as qu'à l'appeler Pascale". Quelle est l'origine de ces rituels? Quel peut en être le sens pour le judaïsme lorsque l'on sait que le mot hébreu Pessah veut également dire boiter? Quelle nouveauté, quelle mutation nous apportent le texte biblique et la tradition juive par rapport aux cultes païens de l'antiquité?

Un problème astronomique

Depuis les temps les plus anciens, l'homme a porté une attention toute particulière aux pleines et nouvelles lunes ainsi qu'à ces moments de la course du soleil sur l'écliptique que sont les solstices et les équinoxes. Le problème devient difficile lorsque l'on essaie de faire coïncider les pleines et les nouvelles lunes avec les quatre stations annuelles remarquables du soleil : lorsque celui-ci est au plus bas sur l'horizon au solstice d'hiver, lorsqu'il atteint son point le plus haut, au solstice d'été et lorsqu'il passe par ses positions moyennes, équilibrant exactement sa course diurne et sa course nocturne aux équinoxes de printemps et d'automne. C'est le problème du raccordement de la lune, le"petit luminaire"du texte biblique qui détermine la date de Pâque. La date est clairement définie dans le temps : c'est la quatorzième nuit du mois de Nissan. Un calcul permet de s'assurer que la pleine lune du 14 Nissan ne puisse être antérieure au moment du passage du soleil sur le point Vernal. L'année solaire compte dix à onze jours de plus que douze mois lunaires, ainsi la pleine lune ne coïncide que rarement avec le jour de l'équinoxe et elle peut s'éloigner de vingt huit jours après ce moment puisque si le quatorzième jour de la lune arrive la veille de l'équinoxe, elle ne pourra être pascale et il sera nécessaire d'attendre la pleine lune suivante qui se situera vingt neuf jours plus tard. Comparée à la borne fixe de l'équinoxe qui règle l'année solaire, la date de Pâque peut être haute ou basse selon qu'elle s'approche de l'équinoxe ou qu'elle s'en éloigne jusqu'aux confins de sa borne limite. Un coup d'oeil hâtif à la succession année après année des écarts entre la date de l'équinoxe et celle du 14 Nissan fait apparaître une suite désordonnée de nombre de jours. Il s'agit en effet d'une série qui ne se répète qu'après 19 années et que l'on nomme"cycle de Méton". C'est donc avec un pied solaire régulier et un pied lunaire excentrique qu'avance le temps de l'année rituelle juive. Les chrétiens qui ont reçu ce calendrier en héritage ont voulu s'en différencier et en particulier faire que leur Pâque ne puisse tomber qu'un dimanche suivant la lune pascale.S'il n'y a donc pas un nombre entier de lunaisons dans une année solaire, c'est à dire si le calendrier est boiteux, quel arrangement inédit, le calendrier hébraïque qui est soli-lunaire, propose-t-il?

Le sens païen des boiteries

De nombreux rites sont associés à la boiterie, à l'unijambisme, au monosandalisme (le fait de ne porter qu'une seule sandale), c'est à dire à une dissymétrie des membres inférieurs. Arnold Lebeuf dans son étude, nous invite à un parcours surprenant à travers les cultures et les peuples du monde où nous découvrons l'ancrage si fort de ces pratiques à l'époque des fêtes de printemps. Citons par exemple le principal initié des mystères d'Eleusis qui ne portait qu'une seule sandale. Ces rituels se retrouvent au Pérou, au Siam, en Sibérie et bien sûr dans nos contrées autour de la coutume populaire des cloches de Pâque. Or nous savons que "clocher" veut dire "boiter" au sens d' "aller mal", "aller de travers". La boiterie et le monosandalisme sont aussi passés dans la culture, l'art et la littérature : les contes pour enfants évoquent ces situations de perte d'une sandale (Cendrillon,...) ; Notre Dame de Paris de Victor Hugo se développe autour de ce thème ; Le retour du fils prodige de Rembrandt montre le garçon, un pied déchaussé, agenouillé devant son père, et de nombreuses icones présentent l'enfant Jésus perdant une sandale. Et puis nous connaissons tous le jeu de marelle auquel on joue à cloche-pied. Jusque là pensons-nous, il n'y a rien de grave. Ce ne sont peut-être que des coutumes populaires sans signification! Réfléchissons cependant au jeu de marelle : il s'agit d'aller de la terre au ciel à cloche-pied. C'est ici que les boiteries païennes prennent tout leur sens : dans les cultes païens, la boiterie évoque un raccourci pour aller au ciel. Boiter, clocher, c'est aller mal et montrer en même temps un état de complétude originel par où l'on va au ciel. Dans quel but? La mythologie grecque parle d'un Age d'or où il n'y avait pas de différence entre les hommes, les dieux et les animaux. Si c'est là la perfection originelle à laquelle aspire le paganisme, la tradition juive est bien évidemment farouchement opposée à de telles idéologies. Le sens même de la pensée de la création dans la Bible vient pour nous enseigner la différence entre le Créateur, l'homme et l'animal. Jean-Pierre Vernant a beaucoup étudié le thème de la boiterie dans la mythologie grecque"(Le Tyran boiteux : d'Oedipe à Périandre", in : Le temps de la réflexion, Gallimard, 1981), et il explique que la boiterie évoque un état primordial de complétude qui serait celui de l'hermaphroditisme :"Que par sa déviance, son étrangeté, son caractère ambivalent, l'hermaphroditisme ne soit pas sans évoquer une forme de boiterie dans le statut sexuel des individus, on sera d'autant plus tenté de l'admettre qu'un fragment d'Hésiode établit à propos de Pleisthène une équivalence complète entre bisexualité et boiterie. Pleisthène, dont Hésiode fait le père d'Agamemnon et de Ménélas était hermaphrodite ou boiteux". La caractéristique mythologique de l'hermaphroditisme est l'autosuffisance sexuelle qui débouche sur l'illusion d'une relation privilégiée avec le ciel et qui se paie au prix d'une incapacité dans les rapports humains. Ne retrouvons-nous pas là tous les errements d'une certaine gnose et du gnosticisme, fondement de l'antisémitisme, qui ont cherché à abolir les naissances humaines et la création?

Nous ne pouvons qu'être opposés à ces cultes et idéologies contre lesquels la Bible et le monothéisme nous ont éduqués et fait grandir; mais en même temps nous pouvons ressentir une certaine frayeur à voir comment ces cultes païens sont subrepticement passés dans d'"innocents"contes ou jeux pour enfants.

La boiterie biblique

La Bible condamne ces pratiques de boiterie; ainsi le prophète Elie se moque ouvertement de la génuflexion rituelle :"O Baal, réponds-nous. Mais il n'y eut ni voix ni réponse ; et ils dansaient en pliant le genou devant l'autel qu'ils avaient fait". On peut penser, écrit A.Lebeuf, que la danse rituelle avec boiterie des prêtres se situait en période pascale puisqu'elle était censée assurer la venue des pluies et que les invocations pour obtenir la pluie sont habituelles en période printanière afin d'assurer la levée des semis. Martin Buber, dans son livre Moïse, écrit :"le verbe Pessah signifie tout d'abord se mouvoir sur un pied, puis sautiller, et l'on peut supposer qu'au cours de la vieille fête des nomades, une danse sautillante était exécutée peut-être par des jeunes gens portant des masques de boucs". La danse de claudication en période de lune printanière cherche à obtenir la pluie fécondatrice du sol, et l'évocation des masques de boucs rappelle l'oracle romain sur les possibilités de fécondation humaine par des boucs velus. Rappelons encore les rondes des sorcières de nos campagnes moyenâgeuse, présidées par un bouc démoniaque au clair de lune pascale (c'est bien connu, le diable est boiteux) qui nous apparaissent clairement comme des résidus de pratiques préhistoriques et païennes.

Il reste cependant significatif et étrange à la fois que le mot Pessah veuille dire boiter. La boiterie pourrait-elle avoir un sens positif? Le texte biblique s'écarte de toutes les autres traditions à propos des boiteries rituelles. En effet s'il y a encore boiterie, ce ne sont plus les hommes qui boitent mais Dieu Lui-même sous son Nom Tétragrammatique :"C'est une Pâque pour l'Eternel"(Exode 12, 11). La nuit de la sortie d'Egypte est ainsi décrite :"Je parcourrai le pays d'Egypte, cette même nuit ; je frapperai tout premier-né... Et le sang sera pour vous un signe sur les maisons où vous habitez : et Je verrai le sang et Je passerai (passahti) par-dessus vous, et il n'y aura pas contre vous de destruction lorsque je sévirai sur le pays d'Egypte"(Exode 12, 12). Rachi commente ainsi ce verset :"Il sautait des maisons des Israélites aux maisons des Egyptiens,... De même les boiteux (pisshim) marchent en sautillant". Le texte dit bien qu'en boitant ou sautillant, l'Eternel délivre les Israélites et les protège de la mort. Et plus loin nous lisons encore :"Et lorsque vos enfants vous diront :"Que signifie pour vous ce rite?"Vous direz :"C'est le sacrifice de la Pâque en l'honneur de l'Eternel, qui a passé (passah) par dessus les demeures des Israélites en Egypte, lorsqu'il frappa les Egyptiens et qu'Il sauva nos maisons". (Exode 12, 27). Telle est la"nuit de protection de l'Eternel","la nuit de l'Eternel pour la protection des enfants d'Israël, pour leurs générations"(Exode 12, 42).

Ainsi le texte biblique inverse toute la problématique païenne. Si dans le paganisme, les hommes veulent singer les astres et sautent sur un pied au moment du passage dangereux de l'année comme pour échapper à leur destin humain et demander assistance en faisant irruption dans le ciel des dieux, dans la Bible, c'est l'Eternel Lui-même qui saute sur un pied pour frapper les idolâtres et les tyrans et épargner sur terre les maisons des Israélites qui sont précisément"dans leurs maisons", c'est-à-dire pas sous le ciel des astres ;"debout"et non pas agenouillés, et"chaussés des deux pieds", c'est-à-dire étrangers aux cultes idolâtres du monosandalisme. Au lieu de l'irruption païenne des hommes, écrit A. Lebeuf, il y a écart de la part de Dieu. Si le calendrier est boiteux, la cause s'en trouve dans la course des astres et dans la dissymétrie du soleil et de la lune. Seul le Créateur porte le mérite et la responsabilité de leur création et fonctionnement. Il les assure et règle leur mécanisme. En prenant sur Lui toute la boiterie rituelle de Pâque, l'Eternel en délie les hommes et leur épargne de s'aventurer dans les sentiers détournés en quête d'illusoires facultés surhumaines au prix de l'infirmité. Il leur épargne encore de calquer leurs actions et leurs vies sur les mécanismes célestes, les délivrant d'un destin déterminé par les rouages d'une horlogerie cosmique, et leur permet d'échapper au temps cyclique, vécu comme un éternel retour, mécanique infernale des divinités païennes auxquelles on voudrait s'identifier dans la terreur et la solitude.

La Pâque juive, en ce sens, est vraiment la sortie de la maison de servitude.

Monique-Lise Cohen

(d'après l'étude publiée avec Arnold Lebeuf"Les boiteries rituelles de Printemps"In : Astronomie et Sciences Humaines,n°2, 1988. Publication de l'Observatoire astronomique de Strasbourg)


Le roi David ou l'anti-Oedipe

"Le roi avec ses hommes marcha sur Jérusalem contre les Jébuséens qui occupaient le pays ; mais ceux-ci dirent à David :"Tu n'entreras pas ici que tu n'aies délogé les aveugles et les boiteux"voulant dire que David n'y entrerait pas. Mais David s'empara de la forteresse de Sion qui est la cité de David. Ce même jour David avait dit :"Celui qui veut battre les Jébuséens doit pénétrer jusqu'au faîte, jusqu'aux aveugles et aux boiteux", devenus odieux à David. C'est pourquoi on a dit : aveugle ni boiteux ne doivent entrer dans la maison."(II Samuel 5, 6)

Qui étaient les aveugles et les boiteux de Jérusalem ?

Nous en lisons une explication traditionnelle dans les Pirkei de Rabbi Eliezer(Ed. Verdier, p. 217-218) : Abraham lorsqu'il acheta le caveau de Makpela, contracta une alliance avec les habitants de Jébus sous la forme d'un serment selon lequel les Israélites n'hériteront pas de la ville de Jébus sans le consentement de ses fils..."Que firent les Israélites de Jébus ? Ils confectionnèrent des statues d'airain et les dressèrent dans les rues de la ville. Ils y inscrivirent le serment d'Abraham... Lorsque David vint à régner, il voulut investir la ville des Jébusites, mais ils ne lui permirent pas... Bien que les Israélites fussent comme le sable de la mer, ils ne le purent à cause de la force de l'alliance du serment d'Abraham... Ils lui dirent : Tu ne pourras pas entrer dans la ville des Jébusites jusqu'à ce que tu aies enlevé toutes ces statues sur lesquelles est écrit le signe de l'Alliance du serment d'Abraham, ce qu'exprime :"Sauf si tu extirpes l'aveugle et le boiteux"(II Samuel, 6). Le boiteux se réfère aux statues comme il est dit :"aveugle et boiteux n'entreront pas dans la maison"(ibid., 8). Peut-être diras-tu, l'aveugle et le boiteux n'entraient pas dans le Temple, or loin de nous pareille idée, ces"aveugles et boiteux"se rapportent aux statues qui ont des yeux et qui ne voient pas, des pieds et qui ne marchent pas, ce qu'exprime :"Qui sont haïs par l'âme de David"(ibid.). David détestait entendre et voir l'idolâtrie..."

David hait les aveugles et les boiteux... Parce qu'il hait Oedipe

Ce roi d'une tradition païenne et mythologique est issu lui-même d'une famille de boiteux. Son père Laïos (le gauche, fils de Labdacos, le boiteux) fut averti par l'oracle qu'il serait tué par son fils qui coucherait aussi avec sa mère. Laïos entretint donc des relations de type homosexuelles avec son épouse Jocaste. Mais elle aura quand même cet enfant. Oedipe, c'est-à-dire"celui qui a le pied enflé"est rejeté par ses parents et se retrouve ainsi hors filiation et hors possibilité d'engendrement lorsqu'il couche avec sa mère. Brouillage de l'ordre des générations dans ce retour massif à l'origine : Oedipe prend la place de son père par le parricide et l'inceste maternel. Il est alors le frère de ses enfants et le mari de sa mère.

Jean-Pierre Vernant ("Le tyran boiteux : d'Oedipe à Périandre"in : Le temps de la réflexion, Gallimard, 1981) fait remarquer les rapports de la boiterie et de la filiation. Deux textes écrit-il, ont une valeur décisive concernant ces rapports : Xénophon : Helléniques III, 1-3 et Plutarque : Argésilas III, 1-9. J.P. Vernant examine dans cette perspective la filiation d'Oedipe au pied enflé, et il écrit :"Oedipe rejoint aussi son propre lieu d'origine, sur le trône de son père, dans le lit de sa mère. Son succès au lieu de le rendre pareil à l'homme qui avance dans la vie en marchant droit dans la suite d'une lignée, l'identifie à ce monstre qu'évoquaient les mots de la sphinge : l'être qui est, à la fois et en même temps à deux, trois, quatre pieds, l'homme qui dans la progression de son âge ne respecte pas, mais brouille et confond l'ordre social et cosmique des générations. Oedipe, l'adulte à deux pieds, est en effet identique à son père, le vieillard dont les pas s'aident d'un bâton, ce"trois pieds"dont il a pris la place à la tête de Thèbes jusque dans la couche de Jocaste - identique aussi à ses enfants, marchant à quatre pattes, et qui sont à la fois ses fils et ses frères."

Dans la mythologie grecque les naissances boiteuses sont paradoxalement rattachées à une complétude androgyne, abolissant la différence de l'avant et de l'après, confondant toutes les dimensions de l'espace. Le boiteux posséderait cette supériorité androgyne originelle et primordiale sur les êtres coupés. Son infirmité est évocatrice de l'origine, celle d'un être complet parce qu'il serait non-né. Nous lisons ainsi dans Oedipe à Colone de Sophocle :"Ne pas naître, voilà ce qui vaut mieux que tout."Le retour à l'origine d'Oedipe s'accomplit comme abolition de la naissance (1) et rompt la chaîne des engendrements. Il s'ee dans la solitude crue d'un monstre qui a aboli sa naissance. Boiteux, c'est-à-dire rejeté par ses parents et se retrouvant hors filiation. Aveugle pour avoir couché avec sa mère, rompant ainsi la possibilité des engendrements.

David : un roi non-mythologique parce que roi d'une humanité ordinaire

David hait les aveugles et les boiteux parce qu'il hait la royauté stérile d'Oedipe. Boiteux, incestueux, voyants et aveugles pratiquent la boiterie rituelle incantatoire et la voyance dans un état de transe hallucinatoire dont les plus spectaculaires symptômes sont sans doute les yeux blancs car ils sont tournés à la renverse comme s'ils regardaient l'autre monde, et leurs titubations extatiques. En combattant ces personnages déviants, David se présente comme le roi d'une humanité ordinaire, loin des handicapés mégalomanes, ceux qui dans l'espoir de se rendre créateur, mutilent en eux-mêmes la créature. En boitant pour la lune de printemps, ceux-là assurément pensent enseigner aux astres ce qu'ils ont à faire, les aider dans leur évolution et accorder leurs propres vies à celle du cosmos. Mais pour David, il n'y a pas de demi-dieux, ce ne sont que des demi-hommes et c'est contre ceux-là qu'il mène ses luttes et remporte ses victoires :"Quant aux boiteux et aux aveugles, David les hait en son âme". (2). Dans une tradition païenne, David aurait peut-être été un"tyran boiteux". Il est issu en effet de naissances illégitimes : l'inceste des filles de Loth avec leur père (une de ces naissances donnera Moab d'où est issue Ruth, aïeule du roi David) et de l'adultère de Tamar avec Juda son beau-père (d'où naîtra Peretz - la Brèche qui engendrera Elimelekh, le premier époux de Ruth, et puis Boaz). Ces naissances illégitimes auraient pu produire un"tyran boiteux", mais est-ce le respect du"lévirat"entre Ruth et Boaz 'selon l'interprétation du Zohar) qui accomplit la réparation des naissances illégitimes pour la naissance du roi-messie ? (3)De façon générale, le judaïsme considère le texte biblique comme un texte non mythique et non tragique. Le mythe en effet ee le retour à une scène initiale et la répétition de l'origine/ La tragédie explore la dimension essentiellement mortelle de l'homme, en peine et en labeur pour le service des dieux immortels.La Bible pense en termes de générations et d'engendrements. Elle résiste aux clôtures policières et mythologiques du sens. Elle ouvre la parole à l'Infini. Parce qu'elle pense dans les termes d'une humanité ordinaire, c'est-à-dire"dans l'image et comme la ressemblance de Dieu"(Genèse 1, 26).

___________________________________________

1. Le monde philosophique occidental semble ignorer la question de la naissance en même temps qu'il développe l'athéisme dans une pensée de l'indifférence du présent. La Bible par contre pense la naissance comme développement du projet divin (Voir : M.L. Cohen, Les Juifs ont-ils du coeur ?. Chapitre :"naissances", pages 209 à 213) ; et Charles Mopsik,"De la création à la procréation : le corps d'engendrement dans la Bible hébraïque, la tradition rabbinique et la cabale, in Revue Pardès, n°12).

2. Arnold Lebeuf et Monique Lise Cohen,"Les boiteries rituelles de printemps", in : Astronomie et Sciences humaines, publ. de l'Observatoire astronomique de Strasbourg, n°2, 1988.

3. A. Lebeuf a étudié les rites de boiterie ainsi que les rites de monosandalisme (le fait de ne porter qu'une seule sandale). Il associe ces deux déviances où dans les mythologies païennes, les hommes se prennent pour des dieux, et il leur oppose le texte biblique :"Un seul des préceptes bibliques commande d'utiliser un rite monosandale, mais il s'agit d'une procédure de désunion, de désaccord, de sanction aux obligations humaines, aux devoirs sociaux et familiaux. La veuve que son lévire (le frère de son époux défunt) refuse d'épouser pour assurer une descendance au parent défunt, lui crache au visage et lui enlève une sandale :"voilà ce que l'on fait en Israël à celui qui ne relève pas la maison de son frère, et sa maison sera appelée : maison du déchaussé"(Deutéronome 25, 10). La"maison du déchaussé"désigne la fin d'une dynastie, la fin d'une histoire. refus de l'engendrement. mais le déchaussement désigne aussi une transaction sur les objets. Nous lisons dans le livre de Ruth :"Or c'était autrefois la coutume en Israël, en cas de rachat ou d'échange, pour valider toute affaire, l'une des parties tirait sa sandale et la donnait à l'autre. Telle était en Israël la manière de ratifier devant témoins. celui qui avait droit de rachat dit donc à Boaz : Fais l'acquisition à ton profit - et il retira sa sandale"(Ruth 4, 7).

Le rachat ou l'échange avec déchaussement d'une sandale n'a pas lieu d'être pour un mariage. Si la femme est considérée comme"acquise"selon la loi rabbinique, ce n'est pas comme un objet pour lequel convient la pratiques du déchaussement d'une sandale. Et bien au contraire, dans le cas d'une relation entre un homme et une femme, lorsqu'il y a non-respect du lévirat, le déchaussement désigne celui qui ne veut pas reconstruire la maison de son frère. Il a refusé le mariage et l'engendrement. Pourrait-on dire que son déchaussement le renvoie dans la sphère des objets, c'est-à-dire de la stérilité ?

Le Zohar (à la différence de la tradition rabbinique) présente le livre de Ruth comme le livre du lévirat réussi en vue de la naissance du roi-messie, le roi David. Il montre ainsi la différence entre le monde des choses (déchaussement d'une sandale) et cette autre monde, celui de l'engendrement ou de la ressemblance à Dieu.


Pour contacter Monique Lise Cohen, envoyez un email : monique-lise.cohen@orange.fr

Toute reproduction de ce site est interdite sans autorisation expresse de Monique LiseCohen

Pour tout problème de consultation, écrivez au webmestre

Mise à jour : 23 janvier 2013