Rimbaud, le prophète

 

Lire Rimbaud, à l’aune d’une ancienne querelle médiévale

L’oeuvre météorite d’Arthur Rimbaud se laisserait prendre dans une grâce et un feu où parfois on voudrait que s’abolisse la parole, là-bas, dans cette “Eternité” où la mer s’en est allée avec le soleil . Alors on interpréterait l’abandon de la poésie, lors du grand départ en Abyssinie, comme la mer fusionnée dans le soleil. Réalisme de la poésie. Ou magie. Dieu a dit que le monde soit, et le monde fut ! Le poète a parlé du soleil, il a disparu dans le soleil. Une parole qui se fait chose. On pourrait lire ainsi, dans une telle nostalgie réaliste, cette phrase, au terme d’Une saison en enfer : “Moi ! qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je me suis rendu au sol avec un devoir à chercher et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !”. Ayant étreint le sol, il serait retourné, comme il  l’avait jadis souhaité à Verlaine, en cet “état primitif de fils du soleil” (1).

Mais les poètes ne sont pas des réalistes. Leur parole ne se transforme pas en une réalité, mais elle donne à voir. Ainsi le poème que décrit la Lettre du Voyant (2). Parole-vision. Ce que Victor Hugo disait des poètes qui sont des prophètes (3).

Selon une vieille querelle médiévale, entre réalisme et nominalisme, nous dirions que le poète est un nominaliste !

 

Il faut être absolument moderne

A la fin d’Une saison en enfer, cette phrase vient rectifier les lectures gnostiques de la Vierge folle, lorsque le poète dit encore que “la vraie vie est absente”, que “nous ne sommes pas au monde”. Non, la poésie n’est pas cette gnose du retour à l’origine. Elle ne ressemble pas non plus à ce retour au sol paysan que laisse croire la description par Martin Heidegger, des sabots de paysan de Van Gogh (4). Ni non plus la critique révolutionnaire de la société bourgeoise.

Un spectre hante l’Europe (5), celui du vrai homme, de la figure véritable et authentique de l’humain. “Ecce homo”, voici l’homme, pourrait-on dire, comparant Rimbaud au “pouilleux de Nazareth” (6). Alors la mythologie occidentale ferait d’Arthur Rimbaud celui qui, voulant changer la vie et revenir à l’origine, aurait choisi d’arrêter d’écrire. Parce qu’une nouvelle vie serait impossible. Parce que le retour à l’origine ne peut se faire que dans le mutisme.

Mais le poète, lui, n’est pas pris dans les filets de la mythologie. Sa voix.

 

La voix du poète qui ne cesse pas

Si le poète a vu sur l’eau “la blanche Ophelia flotter en ses longs voiles”, si la vision est ce qui ne peut être qu’écrit (et non pas un rite de sorcellerie ou d’invocation des morts), c’est qu’une voix traverse les écrits, et que cette voix parvient jusqu’à nous. Lecture-vision.

C’est cette voix, cette parole-vision, que nous laissent entendre aujourd’hui Jacob Haggaï et André Stern.

Mais comment comprendre alors l’arrêt de l’écriture ? Mallarmé disait de Rimbaud qu’il s’était “opéré vivant de la poésie” (7). S’il est vrai que l’on ne possède que ce à quoi on a renoncé (8), alors son opération serait le don qu’il nous fait, de sa voix qui ne cesse pas.

 

Monique Lise Cohen

 

1. Yves Bonnefoy, Rimbaud par lui-même  (p.131).
2. Lettres des 13 et 15 mai 1871, à Izambard et Demeny.
3. Cité par Henri Meschonnic, Politique du rythme, politique du sujet, Ed. Verdier (p.360).
4. Martin Heidegger, L’origine de l’oeuvre d’art.
5. Paraphrase de Karl Marx, Manifeste du parti communiste.
6. Pierre Michon, Rimbaud le fils.
7. Stéphane Mallarmé, The Chap Book (Chicago), 15 mai 1896, recueilli dans Divagations (1897).
Voir également  : Arthur Rimbaud, Cahiers de l’Herne et Album Rimbaud, Ed. de la Pléiade (p. 317).
8. Selon un enseignement du Rav Heymann donné à Toulouse, dans les années 80.

 

 


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Mise à jour : 29 février 2008